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Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre
Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre
Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre
Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre
Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre
Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre
Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre

Le dernier Caïffa du Pays de Bélâbre

Non loin de Bélâbre, à La Forge, demeurait autrefois le dernier «Caïffa» local, un colporteur bien connu dans nos hameaux vendant entre autres café et savon avec son âne et sa charrette .


 

Un curieux colporteur

"Man ! v'là l'Caïffa !". C'est ainsi que les enfants annonçaient le passage du «Caïffa» dans les hameaux et villages. «C'est le planteur de Caïffa !» criait le colporteur qui vendait du café mais qui proposait aussi: thé, café, tapioca, sucre, cacao, gâteaux secs, pâtes, chocolat, boîtes de sardines, amidon, fil, boutons, aiguilles, produits d’entretien dans des boites multicolores bien alignées sur les étagères de son caisson, toutes au nom de «Caïffa», ainsi que des produits non disponibles dans les campagnes.

Le «Caïffa» comme on l'appelait, avec son uniforme vert-bouteille et sa casquette à visière portant le nom de la maison était très populaire. Si le Caïffa de Bélâbre avait âne et charrette, la plupart d'entre eux sillonnaient les campagnes avec une voiturette à trois roues, deux grandes à l'arrière et une petite très mobile à l'avant pour faciliter la conduite du véhicule. Cet équipage avait la forme d'un grand coffre roulant peint en noir sur lequel on lisait : "Au planteur de Caïffa PARIS !" Une large poignée permettait au colporteur de pousser l'ensemble qu'un ou deux gros chiens harnachés d'une bricole en cuir aidaient souvent à la traction.


 

Un épicier de génie

 

Née en 1890, la société «Au planteur de Caïffa» était la création de Michel Cahen et de sa femme. Epiciers rue Boulitte à Paris, ils décident d’acheter dans le port du Havre une cargaison de café d’un bateau qui avait sombré et dont personne ne voulait. Puis, ils étalèrent les grains de café dans de grands entrepôts pour les faire sécher, les torréfier et conditionner en petits sacs de 125 grammes. A cette époque, peu de personnes buvaient du café, denrée rare et très chère. En le vendant par petites quantités et à un prix intéressant, Michel Cahen le rendit accessible à une grande partie de la population parisienne avec succès.


Quand tout fut vendu, il fit venir du café de Caïffa, une île d’Amérique du sud où prospéraient des plantations de café, d’où le nom de sa nouvelle société :"Planteur de Caïffa". Pour se diversifier et étendre sa clientèle, Michel Cahen a une idée de génie: tout en restant spécialiste du café, il transforme son magasin de torréfaction en épicerie-droguerie et imagine un système de vente par colporteurs. Ces nombreux colporteurs iront dans les campagnes, de village en village, de ferme en ferme, proposer les produits de sa société. Dans la France très majoritairement rurale de la fin du XIXe siècle où les moyens de transport sont rares il est essentiel d'aller chez l'habitant. À pied avec des poussettes à bras, à vélo en triporteur, avec des voiturettes tirées par des chiens ou un âne, ces milliers de colporteurs font très vite partie du paysage rural français. De nombreuses succursales sont créées dans toutes les villes et les gros bourgs, plus de 400 à la fin de la société aux alentours de la seconde guerre mondiale. Ces magasins servent de relais et contribuent à pénétrer dans les campagnes.

 

Seconde idée de génie: Michel Cahen imagine la fidélisation de ses clients. Le "Planteur de Caïffa" invente les timbres fidélité que villageoises et paysannes collent méticuleusement dans un petit carnet; une fois rempli, le carnet s'échange contre quelques objets peu onéreux (assiettes, serviettes, etc..). Le carnet de timbres était conservé comme un objet précieux, ou un livret d'épargne, reliques d'économie domestique retrouvées dans les successions rurales au même titre que les emprunts russes ou les bons du Trésor pour le Tunnel sous la Manche.


 

Une vie de Caïffa

Les Caïffas partageaient la vie de leurs chiens avec un périple hebdomadaire d'environ 90 km, et ce par tous les temps, une «vie de chien»... Lors des étés très chauds, quand le goudron fondait, il fallait tirer et pousser la carriole dans l'herbe en bord de route pour ne pas rester collés. Le plus souvent, le chemin parcouru était pavé de grosses pierres brutes où les chevilles se tordaient. En hiver, les chemins boueux, les ornières, la pluie et la neige allongeaient la journée de travail. Le montant moyen de la recette journalière était d'environ dix francs, une bonne journée pouvait atteindre 25 à 30 francs de l'époque sur lesquels les Caïffas touchaient un bénéfice de 11%, leur salaire. Au bout de sa journée de travail, le Caïffa exténué trouvait refuge chez un habitant ou un fermier qui acceptait de l’héberger dans sa grange.

Dés que l'on entendait le klaxon du Caïffa, klaxon reconnaissable entre tous, les gens accourraient vers le centre du village où stationnait sa voiturette. Les enfants, surtout attirés par la curiosité et par les bonbons que le «Planteur» ne manquait pas de leur offrir, étaient les premiers arrivés sur le lieu. "Man ! v'là l'Caïffa !", hurlait la volée de moineaux, les enfants aimantés par ce personnage si intrigant avec sa voiturette et sa panoplie de produits judicieusement rangés dans son coffre à roues.

Pour l'achat de son meilleur café, classé «D», le client obtenait une vignette pour son carnet de fidélité. Un cumul de dix vignettes donnait droit à un cadeau que les ménagères conservaient avec le plus grand soin, les cadeaux étaient rares autrefois. Ces cadeaux de fidélité: assiettes, soupières, torchons, etc… constituèrent le trousseau pour nombre de futures ménagères. Les cadeaux étaient assortis des conseils du Caïffa comme le poivre moulu contre les voleurs:«Tenez donc, la mère, si on vous attaque ou si on tente de vous voler, prenez donc cette boîte de poivre moulu et jetez-le aux yeux du voleur... il aura tôt fait de déguerpir...".


 

Le chant du cygne

Dès le début de la seconde guerre mondiale les Caïffas se firent rares dans les campagnes. Les Debrey, successeurs de Michel Cahen, étaient juifs, ils disparurent dans la tourmente qui suivit l'exode. La société fut reprise mais s'étiola au fur et à mesure du temps pour s'éteindre dans les années d'après-guerre.

Lorsque les Caïffas disparurent du paysage, les commerçants locaux eurent l'idée de reprendre cette pratique et dès la fin de la guerre les charcutiers et les boulangers de villages reprirent le même chemin en sillonnant les campagnes avec leurs camionnettes pour offrir leur marchandise jusqu'aux fermes éloignées.

Longtemps encore lorsqu'un klaxon retentissait dans les villages les habitants attendirent l'annonce chantée :«C'est le Planteur de Caïffa! Ah !....ï...ï...café !», mais le Caïffa avait émis son chant du cygne depuis bien des années...

Au pays de Bélâbre, la campagne environnante étant riche de gibiers de toutes espèces, le Caïffa devint taxidermiste. Il continua de sillonner les alentours en vendant les peaux de lapins et peaux de renards collectées et transformées en descentes de lit et tapis. Peut-être fut-ce en souvenir de ce dernier Caïffa appelé « Vieux Loup », et de tous ses confrères colporteurs, que Charlotte Besson, poétesse bélabraise, écrivit ce poème :

 

 

Le pauvre colporteur

 

Il chemine en toutes saisons

Appuyé sur son bâton

Allant de ville en village

Plein d'ardeur et de courage

La hotte hissée sur le dos

Il se dirige vers un hameau.

 

Sur la petite place du marché,

Devant des enfants assemblés

Il étale tous ses bibelots

Polichinelles, et Pierrots

Tambours, poupées, arlequins

Des yoyos et petits pantins.

 

Ensuite il propose sa marchandise

Aux ménagères qui choisissent

Toutes sortes de colifichets

Des colliers et bracelets

Mouchoirs, foulards chatoyants

De la dentelle et des rubans.

 

Vers la fin de la journée

Dans une ferme il va souper

Puis dans un coin de l'étable

Il va passer la nuit

Dormir sur une botte de paille

Qu'il apprécie comme un lit.

 

Dès l'aube, le lendemain

Il repart son bâton à la main.

Jusqu'à sa dernière heure

Il sillonne les chemins

Un certain jour à son déclin

Va mourir le pauvre colporteur.

 

 

 

 

(Sources: « vieuxmetiers.org », « Pierres qui roulent » de G.Boutet et J-C.Godefroy, « L'ornière » d'H. De Monfreid, Poésies de Charlotte Besson)


 

 

 

 

 

 

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